L’intelligence artificielle va-t-elle nous voler notre travail ?

Rosalie Bourgeois de Boynes
5 min readJan 17, 2019

Si les machines peuvent surpasser les hommes dans presque toutes les tâches, comment prévenir le pire scénario d’un chômage de masse[1] concomitant à des déplacements de populations ? Certains pensent que l’intelligence artificielle s’apparente aux autres technologies et que la création d’emplois compensera les suppressions ; d’autres pensent à l’inverse que les machines acquérant l’autonomie et augmentant la plus-value ne seront pas créatrices d’emplois. Comment garantir la sécurité économique des personnes, c’est-à-dire le droit au travail librement choisi, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ?

© GettyImage Stock 2018

Automatisation des tâches sans baisse du volume de l’emploi

Chaque métier contient une part répétitive et procédurière qui pourrait être automatisée. Or la machine est indéniablement plus rentable que l’homme : elle permet de faire des économies d’échelle, ne tombe pas malade, n’a pas d’enfant et ne fait pas grève. La menace de l’intelligence artificielle sur les emplois pèse donc d’un point de vue de faisabilité technique. Il paraît cependant difficile de soutenir l’hypothèse du chômage de masse. FMI, OCDE et autres instituts s’accordent d’ailleurs pour prédire une baisse du chômage. Ce paradoxe de l’accélération de l’automatisation sans chômage peut d’abord s’expliquer par la distinction entre la tâche d’une profession et le volume de l’emploi. La faisabilité technique de l’automatisation ne garantit pas de facto sa rentabilité économique ; les métiers peu qualifiés dont le retour sur investissement de l’automatisation sera trop bas, ne seront pas intéressants à automatiser. Ensuite, rappelons que l’impératif de rentabilité économique s’inscrit dans un contexte mondialisé. Si certaines tâches administratives et bureautiques (relation client, services financiers, professions comptables et juridiques) sont automatisables d’un point de vue fonctionnel d’autres stratégies comme la délocalisation peuvent être plus rentables d’un point de vue économique.

Les limites actuelles de l’intelligence artificielle ne permettent pas aujourd’hui de remplacer les humains dans leurs tâches pour une qualité de service égale, mais joue le plus souvent un rôle d’aide à la décision, et d’assistance. C’est alors qu’il convient de viser les abus de langage qui fleurissent à foison dans les propositions de valeur des entreprises dites d’IA. Les promesses aguicheuses telles que « Une IA capable de remplacer un notaire », ou « Une IA capable de remplacer un conseiller client » cachent souvent une grande insatisfaction client. Les avancées actuelles de l’IA ne permettent pas en réalité d’égaler les capacités humaines impliquant une part d’intelligence émotionnelle, relationnelle, une part d’improvisation créative ou dextérité pour la manipulation d’objets (par exemple en chirurgie opératoire), car ces capacités ne peuvent être modélisées simplement.

Destruction créatrice ?

La demande pour des métiers nouveaux a fortement augmenté en informatique et en sciences de l’ingénieur[2]. D’un point de vue plus global, d’autres secteurs seront aussi en hausse et créateurs d’emploi : la biotechnologie, la nanotechnologie, la robotique, les industries reposant sur le Big Data et sur l’internet des objets, l’agriculture, les transports, le secteur de la construction dans les pays émergents dont l’urbanisation s’accélère, les secteurs touchés par le réchauffement climatique, les technologies utilisant des énergies renouvelables et les systèmes d’information experts en géographie.[3] L’ensemble de ces secteurs en croissance pourront largement reposer sur de l’intelligence artificielle.

En outre, dans tous les projets d’automatisation, les employés pourront être impliqués dans le développement et le processus du changement dans les premières étapes puisqu’ils connaissent leur métier mieux que personne. Le premier métier créé par l’intelligence artificielle est peut-être « l’entraîneur », c’est-à-dire le guide qui indique à l’intelligence artificielle ses succès et ses échecs pour l’aider à faire de moins en moins d’erreurs. Le métier d’entraîneur va du plus simple assistant en natural language processing jusqu’à l’entraîneur d’algorithme d’imitation de comportements humains et notamment l’empathie.

Formation continue : la collaboration entre Etats et entreprises.

L’hostilité naît de l’incompréhension. L’acceptation sociale de l’intelligence artificielle doit donc passer par la formation et la participation à la création des robots. S’il a beaucoup été question de réformer l’éducation, il n’est plus temps d’attendre une prochaine génération de travailleurs, pour être prêt à accueillir la révolution de l’intelligence artificielle, car les compétences actuelles des employés sont rapidement dévaluées dans le temps.

On estime à 50% la part de connaissances acquises en première année universitaire en séries techniques qui sera obsolète d’ici l’obtention du diplôme des étudiants.

Il est donc crucial pour les entreprises de jouer un rôle auxiliaire pour leur main-d’œuvre actuelle par des plans de formation et pour être efficace, les gouvernements devront encourager ces démarches de façon itérative, en se fondant sur des tests.

Faire monter en compétences les talents, diffuser leurs savoirs au travers des différents départements de l’entreprise et augmenter la productivité par la technologie, plutôt qu’en les remplaçant purement et simplement par les machines est une stratégie qui permettra des gains à long terme. Tout en évitant la démotivation des forces en présence, cette stratégie permettra de réduire les coûts de turn-over.

Les bénéfices du temps libéré

Le travail libéré par le progrès technique sert à d’autre secteurs de production, suivant la théorie du déversement de Sauvy[4]. Sauvy soutient en effet que « le travail consacré à la production de la machine ; l’accroissement de la vente des produits bénéficiant du progrès, grâce à la baisse de leur prix et la production de masse ; l’apparition de consommations nouvelles ou l’augmentation de consommations anciennes » compensent la disparition des emplois amenés par la mécanisation. Au lieu de se demander : que nous restera-t-il à faire si l’intelligence artificielle devient omniprésente ? Demandons-nous : comment optimiser le temps libre dégagé ?

Anticiper les changements par de la veille

Le premier bénéfice du temps libéré consiste à se concentrer sur l’essentiel. Le développement de l’intelligence artificielle et des plateformes collaboratives de partage et d’échange de connaissance est extrêmement prometteur. L’assistant personnel d’un chirurgien pourrait lui faire un résumé personnalisé des conférences, colloques et articles les plus importants du moment auxquels il n’a pas le temps d’assister et qu’il n’a pas le temps de lire. Ces rapports pourraient cibler ces centres d’intérêts ou points de difficultés avec un système d’indexation bien plus efficace que les filtres de popularités ou de mots-clés qui sont insuffisants voir non pertinents dans le domaine de la recherche.

Créer des expériences

Corollairement, cette évolution pourrait permettre de travailler à l’amélioration de la satisfaction client. Avec la croissance de l’e-commerce, les boutiques posent de plus en plus la question de la création d’une expérience d’achat mémorable au centre de leurs stratégies. Les compétences créatives sont ainsi valorisées, de même que les compétences rhétoriques en persuasion et la qualité de l’intelligence émotionnelle. Les stratégies marketing sont sur le point d’accomplir leurs rêves de sophistication à l’extrême : grâce à l’optimisation de la gestion « au plus juste » des stocks de marchandises et à l’extrême segmentation de la clientèle, les entreprises pourront hyper-personnaliser leurs produits pour leurs cibles et pourront aussi anticiper les nouvelles valeurs de leurs consommateurs plus rapidement.

L’intelligence artificielle demain : se tenir prêt ou résister ?

Le défi que les employeurs, les individus et les gouvernements ont à relever consiste à trouver des moyens d’assurer que les changements sociaux (emploi, sécurité, santé) induits par la technologie soient socialement désirables, afin de ne pas engendrer de défiance.

[1] Cowen, McAfee, Brynjolfsson

[2] World Economic Forum, The Future of Jobs, Employment, Skills and Workforce Strategy for the Fourth Industrial Revolution, January 2016

[3] Ibid.

[4] Sauvy, La Machine et le chômage, 1980.

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Rosalie Bourgeois de Boynes

I am a French AI enthusiast, looking forward to discovering the new developments of AI that would be closer to the way human brain functions.